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Agir


Publié dans notre magazine n°138 - mars & avril 2020

LE PAYS PETIT
La chronique de Claude Semal, auteur-compositeur, comédien et écrivain

Ingouvernable ?

En 2018-2019, le mouvement des Gilets jaunes a marqué la rupture entre la Macronie fraîchement élue et la France des banlieues et des campagnes.
Violemment réprimés (10 000 gardes à vue, 3 100 condamnations, 400 peines de prison ferme, 315 blessures à la tête, 24 éborgnés, 5 mains arrachées, 2 morts, etc.), lynchés par les médias mainstream, les Gilets jaunes se sont retrouvés bien isolés face au pouvoir [1].
Mais la saison 2, 2019-2020, présente un tout autre visage.µ
En s’attaquant de front au système des retraites, pour le remplacer par un système « à points », Macron a en effet réussi à jeter dans la rue toute la France syndicale.
Après cinquante jours de grève, 60% des Français restent fermement opposés à la liquidation de cet acquis historique du Conseil National de la Résistance.
Plus inquiétant pour le gouvernement d’Edouard Philippe, les classes moyennes supérieures, le cœur même de son électorat, sont en train de faire sécession.
Ici, des centaines d’avocats jettent leurs robes noires au pied de la Ministre de la Justice. Du jamais vu en France. Un bâtonnier embastillé par la Police !
Là, mille deux cents médecins-chefs de service démissionnent de leurs fonctions administratives, pour protester contre le sous-financement des hôpitaux.
Plus loin, les petits rats de l’Opéra de Paris dansent la Mort du Cygne sous les calicots, pendant que la PDG de Radio France est réduite au silence par le Chœur des Esclaves du Nabucco de Verdi. Ils rejoignent les pompiers qui, casque sous le bras, laissent un préfet seul devant son micro, les profs, qui jettent des manuels scolaires devant les grilles d’un rectorat, ou ces centaines d’égoutiers, sortis des entrailles de la terre, pour rappeler qu’ils vivent dix-sept ans de moins qu’un Français moyen.
Ceux-là cotiseront toute leur vie pour une retraite qu’ils ne toucheront souvent jamais.
Face à une telle insurrection du pays, la droite traditionnelle, celle des patrons de bistrots et des comptoirs, des entrepreneurs cassoulet et des notables choucroute garnie, aurait depuis longtemps replié ses cannes et remballé sa réforme. A une coudée des élections municipales, elle aurait simplement cherché à sauver sa peau.
Macron, lui, s’en fout. C’est un Alien. C’est Zorglub.
Il n’habite plus en France, mais dans le CAC 40, dans ces conseils d’administration où il siégera demain, dans cette bulle financière où l’on pique-nique un jour à Davos, un soir à Versailles, en causant parachutes dorés entre deux jets privés.
Ce n’est pas la France qui est ingouvernable. C’est le Président de la République qui habite Andromède ou dans les Iles Caïman.
Autre pays, autres mœurs. Le 25 janvier 2020, la Belgique a passé le cap des 400 jours sans gouvernement fédéral. Le record mondial de 2010/2011 – 541 jours – sera-t-il bientôt battu ?
Le fameux « compromis à la belge » vire chez nous au casse-tête ouïghour.
La famille sociale-chrétienne, qui a si longtemps cimenté et dirigé la maison Belgique, est dans les cordes. Il fera beau demain  ? Peut-être. En attendant, il pleut.
En Flandre, la N-VA et le Vlaams Belang (extrême droite) sont à deux doigts de former une majorité « indépendantiste ».
A défaut, la N-VA dirige aujourd’hui le Nord du pays avec l’Open VLD (libéral) et le CD&V (social-chrétien).
La Wallonie reste majoritairement « progressiste », mais elle a préféré remettre en selle le mariage de la carpe, du lapin et de l’écureuil, dans un gouvernement MR-PS-ECOLO (ce qui, en France, équivaudrait à un gouvernement Hollande/Sarkozy/Verts).
A Bruxelles, c’est encore un autre waterzooi : le PS et les Verts, avec le MR dans l’opposition, mais les libéraux de Défi (Démocrate Fédéraliste Indépendant) et de l’Open VLD dans l’exécutif.
Qui y comprend encore vraiment quelque chose ?
Faites le test autour de vous : qui siège dans nos six gouvernements régionaux ?
Une « drache » à qui donne les six bonnes réponses.
En s’alliant avec la N-VA, dans le précédent gouvernement, Charles Michel (MR) et Didier Reynders (MR) ont fait entrer le loup séparatiste dans la belge bergerie.
Partis se faire dorer la couenne à l’Europe, ils nous laissent seuls avec cette énigme : un pays qui ne peut plus être dirigé que par ses fossoyeurs est-il encore un pays ?
La vie politique, en Belgique, c’est Game of Thrones.
Et tout le monde meurt à la fin [2].

[1Sources chiffrées : Médiapart/allo-place-beauvau et Le Monde du 8 novembre 2019.

[2En attendant, je chanterai à 20h, au Théâtre Poème à Saint-Gilles, du 3 au 7 mars 2020, accompagné au piano par Pascal Chardome. Tickets (15/12/9 euros) sur www.claudesemal.com

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