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édito


Publié dans notre magazine n°138 - mars & avril 2020

Edito
par Hugues Dorzée, rédacteur en chef

L’effet papillon

« Un battement d’ailes de papillon au Brésil peut-il déclencher une tornade au Texas ? », s’interrogeait, en 1972, le météorologue Edward Lorenz dans une conférence scientifique qui fera date. « L’effet papillon » était né, illustrant d’autres travaux mathématiques sur la théorie du chaos : « petites causes, grandes conséquences », comme le fredonnait très simplement le chanteur Bénabar.

Il en va de même avec le coronavirus (Covid-19) découvert fin janvier au centre de la Chine : un éternuement diagnostiqué à Wuhan a déclenché, d’un côté, une grave crise sanitaire et, de l’autre, un gigantesque désordre social, économique et politique à l’échelle planétaire.

Soudain, l’Empire céleste s’est mis à vaciller. Le pays le plus peuplé du monde (1,4 milliard d’habitants), avec une culture immense et millénaire, gouverné par un régime dictatorial et liberticide à la tête d’une superpuissance économique, technologique et militaire, s’est soudain transformé en un colosse aux pieds d’argile vulnérable et versatile.

Derrière ce virus made in China, c’est la fragilité de notre modernité qui nous éclate au visage. Et notre monde néolibéralisé et interconnecté démontre chaque jour un peu plus l’évidence : le capitalisme est si peu immunisé face aux crises qui vont aller crescendo.

Mise en quarantaine
La Chine est l’usine du monde et nous sommes devenus dangereusement sino-dépendants. Pharmacie, textile, télécoms, automobile, aéronautique… Une très grande partie de la production mondiale se joue là-bas, en Asie de l’est, et à la lumière de cette nouvelle épidémie, la communauté internationale semble redécouvrir combien elle est l’esclave de l’économie chinoise. Avec ses risques et périls en cas de crise prolongée : rupture de stocks, récession, hausse du chômage, chutes boursières...

Vive la main invisible du marché, les accords commerciaux sans entraves, les délocalisations forcées, les produits fabriqués à coûts réduits détruisant l’environnement ! Vive la mondialisation « heureuse » qui a fait de Pékin le fournisseur n°1 de nos petites et grandes folies consuméristes !

Depuis la découverte du coronavirus, le régime de Xi Jinging s’est lancé dans une « guerre contre le démon » pour éradiquer le virus et « améliorer la santé du monde ». Une démonstration de force qui vise à asseoir son hégémonie dans l’adversité et à rassurer les marchés. Il agit de manière autocratique et discrétionnaire avec un recours massif à la censure, à la dissimulation d’informations, à la propagande… Mais le peuple chinois, même muselé, ne s’en laisse pas conter, affichant une colère légitime face à la coupable incurie des autorités.

Mis en quarantaine, interdits de voyager dans certains pays, perçus comme les pestiférés du globe, les Chinois résistent à la contagion malgré le chiffre des victimes qui ne cesse d’augmenter (70 500 personnes contaminées et 1770 morts au moment de boucler cette édition), et nous donnent une leçon de discipline et de sagesse, de mobilisation et de force morale. Pendant ce temps, en Occident, que fait la face obscure de l’opinion publique ? Elle s’agite et s’affole, propage la peur et le racisme primaire, attise la haine et crie au complot.

Avant de contempler, avec une pointe de revanche, le colosse affaibli, bouc émissaire parfait pour masquer ses angoisses et son impuissance face à la propagation de cette maladie contagieuse dont tout un chacun ignore encore l’issue.

« Nommer des coupables, c’est ramener l’inexplicable à un processus compréhensible », rappelle l’historien Jean Delumeau, spécialiste des grandes épidémies cité dans Le Monde [1]. L’incertitude, précisément, nous allons devoir nous en accommoder. Car les bouleversements en cours (dérèglements climatiques, extinction des espèces, perte des écosystèmes…) s’accompagneront inévitablement d’autres crises sanitaires. Un futur incertain et imprévisible qu’il s’agira d’affronter sans tomber dans l’impulsion irrationnelle ou l’hystérie. Comment ?

En transmettant, dès le plus jeune âge, l’indispensable « manuel-anti-chocs » (l’esprit critique, le sens du collectif, la maîtrise de soi, la présence d’esprit…). En mobilisant des « énergies actives et réalisatrices », comme les appellent le philosophe Baptiste Morizot (lire en p.72). En créant des « cellules dormantes » de coopération et de résilience. Utopique ? Sans doute. Mais tellement vital si l’on veut contrer cette peur destructrice qui paralyse tout sur son passage et met à bas le genre humain.

Dessin : Julie Graux

[112 février 2020

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