Chaque année, la compagnie aérienne Brussels Airlines participe à un grand nombre d’expulsions de personnes migrantes. En cause ? Un titre de séjour jugé irrégulier par les autorités belges. Née le 15 février 2002 après la faillite de la compagnie Sabena, elle n’est toutefois pas la seule à exécuter de telles décisions. Un collectif s’est créé autour de la campagne Brussels Airlines Stop Deportations : il entend dénoncer la collaboration de la compagnie avec l’État et aspire à la pousser à y mettre fin. Il revient, ici, sur l’ancrage colonial de l’entreprise — et ses répercussions contemporaines.
Brussels Airlines se revendique « spécialiste de l’Afrique » et relie Bruxelles à 28 destinations sur le continent africain. Ce fait n’est pas le fruit du hasard ni celui de la simple conjoncture économique, mais bien le produit d’une histoire coloniale : celle de la Belgique et de la compagnie aérienne nationale de l’époque, la Société anonyme belge d’exploitation de la navigation aérienne, plus connue sous le nom de Sabena. L’historien Guy Vanthemsche assure d’ailleurs que « le Congo a toujours occupé une place importante dans l’histoire de l’aéronautique belge [1] ». Dès sa création, en 1923, la Sabena participe à l’entreprise coloniale belge. La mission qu’on lui assigne est d’assurer des liens aériens entre la Belgique et le Congo belge, colonie depuis la Conférence de Berlin de 1884-1885. Le 12 février 1925, un vol inédit est organisé par la Sabena pour rejoindre en 51 jours Léopoldville, au départ de l’aéroport de Haeren/Melsbroek. Aux commandes, Edmond Thieffry, un « as » de l’aviation militaire belge durant la Première Guerre mondiale. Lors de la période qui suit, les femmes belges reviennent régulièrement afin d’accoucher en Belgique, avant de retourner au Congo avec leurs nourrissons. Dans les années 1950, la Sabena organise même des « nursery flights », que la compagnie présente comme des services spéciaux sur la liaison Congo/Belgique pour passagers accompagnés d’enfants — et même pour enfants non accompagnés âgés de 3 à 12 ans, avec des berceaux, des services de puériculture et des jeux organisés à bord de l’avion.
En 1961, quelques mois après l’indépendance du Congo, c’est un avion de la Sabena qui amène le militant anticolonialiste et ancien Premier ministre Patrice Lumumba — que les autorités belges nomment alors le « colis » —, ainsi que ses compagnons Maurice Mpolo et Joseph Okito, à Elisabethville. Durant le vol, les détenus sont frappés avec une telle intensité que l’équipage belge verrouille la porte du poste de pilotage et se bouche les oreilles « pour ne pas entendre les cris des suppliciés », comme le racontera la journaliste Colette Braeckman. Lorsque le gouvernement katangais accueille la « livraison », des conseillers belges informent le ministre des Affaires africaines, le comte d’Aspremont Lynden, via l’attaché au cabinet des Affaires étrangères Étienne Davignon — lequel, depuis l’ambassade belge de Léopoldville, assure la liaison avec la Belgique. Le 7 novembre 2001, la Sabena fait officiellement faillite ; SN Brussels Airlines va naître de ses cendres quelques mois plus tard, en février 2002. En avril de la même année, l’Afrique fait son retour dans le réseau de la compagnie avec un vol vers Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo. Dès l’été 2002, 13 destinations composent déjà son « réseau africain » : Abidjan, Banjul, Conakry, Dakar, Douala, Entebbe, Freetown, Kigali, Kinshasa, Luanda, Monrovia, Nairobi et Yaoundé [2]. Depuis, Brussels Airlines n’a jamais cessé sa collaboration avec l’État belge dans sa politique d’expulsion de personnes migrantes.
En 1974, la fermeture des frontières belges a eu un impact direct sur les possibilités d’entrer et de s’établir sur le territoire, avec pour conséquence d’accroître le nombre de personnes dites « sans-papiers » (entendre : arrestation, enfermement et expulsion). La loi du 6 mai 1993 a ensuite pour objectif d’élargir les possibilités de maintien des personnes sans titre de séjour en centres fermés afin de « garantir l’éloignement effectif de certaines catégories de demandeurs d’asile ». Ces nouvelles mesures, fortement critiquées par de nombreuses organisations telles que la Ligue des droits de l’Homme [3], donneront à la Sabena un rôle nouveau dans l’exécution des politiques migratoires belges. Le 22 septembre 1998, c’est à bord d’un Airbus de la compagnie qu’une jeune femme nigériane du nom de Semira Adamu est assassinée, étouffée par les gendarmes à l’aide d’un coussin, alors qu’elle subit sa sixième tentative d’expulsion. Neuf gendarmes et trois membres de la sécurité de la Sabena sont mobilisés ce jour-là. L’équipage — et en particulier le pilote de l’avion, pourtant « seul maître à bord » aux yeux de la loi — se contente d’appeler une équipe médicale une fois prévenu de l’arrêt respiratoire de la jeune femme, après 11 minutes d’étouffement.
L’une des caractéristiques de l’occupation coloniale du Congo belge (et des autres pays colonisés) résidait dans la répartition extrêmement inégale des capacités à faire usage de sa liberté de circulation. Du côté du colonisateur, la liberté de circulation et d’installation était fortement encouragée politiquement et légalement, alors que le sort des personnes colonisées se résumait en deux mots : contrôle des déplacements et détention. Force est de constater que de tels mécanismes sont encore à l’œuvre actuellement vis-à-vis des migrant·e·s. D’un côté, une relative facilité et un encouragement à se déplacer dans la majorité du monde pour les Européen·ne·s ; de l’autre, des frontières qui s’appuient sur des mécanismes de contrôle (Agence européenne de garde-côtes et garde-frontières Frontex, visas, système de surveillance de données PNR, enregistrements d’empreintes, etc.) et de répression, suivant un schéma de rafles, d’arrestations et d’expulsions. Le nombre de personnes mortes aux frontières, les violences policières (psychologiques et physiques) systématiques, les arrestations arbitraires et les privations de libertés sont autant d’éléments attestant qu’il existe toujours une hiérarchisation institutionnalisée des vies humaines propre aux logiques coloniales. Face à cette violence d’État, des détenu·e·s « mis·es à distance » luttent à l’intérieur des centres fermés par des actes de résistance et de solidarité : dénoncer les réalités des centres fermés et des expulsions sans cesse invisibilisées, entamer des grèves de la faim qui durent parfois plusieurs semaines et/ou refuser des expulsions au risque de subir des coups et blessures importants. Autant d’actions d’autodéfense ou de résistances individuelles et collectives qui se voient lourdement réprimées — transferts dans d’autres centres de détention, isolements, menaces, humiliations et violences multiples. Sans oublier celles et ceux d’entre les détenu·e·s qui, parfois, en viennent à s’automutiler ou tentent de se suicider.
Le 30 octobre 2019, un nouveau témoignage de violences policières à bord d’un avion de Brussels Airlines sort dans la presse. La femme victime déclare : « J’ai été torturée hier par la police belge dans un avion de SN Brussels Airlines à 11 heures. Ils ont maintenu ma tête appuyée entre les jambes du policier. […] Chaque fois que je criais à l’aide, ils me serraient la bouche, me frappaient la bouche et me torturaient davantage. […] On me traitait comme un animal, ils me battaient très fort, ils me tenaient le cou et la gorge. Je ne pouvais pas crier. […] Le policier est venu me voir et m’a demandé : "Tu sais pourquoi tu retournes en Afrique ? Tu ne sais pas ?" J’ai répondu que j’allais me marier mais que la police m’a emmenée de chez moi au centre fermé. Puis il m’a dit : "Oh, je te renvoie en Afrique. Si tu ne veux pas y aller, on va te frapper et te mettre dans l’avion pour que tu y ailles de force". » Le seul fait d’être dépourvu·e d’un titre de séjour valable entraîne de facto un refus des droits les plus fondamentaux ainsi qu’une précarité des conditions de vie, du fait, notamment, des emplois non-déclarés et sous-payés dans les secteurs les plus difficiles. Dans cette situation, les femmes (mais également les personnes LGBTQI+) dont le titre de séjour est jugé irrégulier sont, plus encore que les hommes, susceptibles d’être confrontées à des actes racistes et sexistes — surtout dans des contextes de précarisation. Comme l’écrit le Comité des femmes sans-papiers dans un tract en date de 2016 : « Il faut lutter pour la régularisation de tous les sans-papiers afin qu’ils puissent disposer des mêmes droits que les autres travailleurs et qu’ils ne puissent plus être instrumentalisés pour diminuer les conditions de vie de l’ensemble. Parallèlement, il nous faut lutter collectivement contre toute forme de sexisme, pour des logements abordables, des services publics de qualité et des emplois et des revenus décents permettant l’indépendance financière des femmes. »
Suite à la faillite de la Sabena, la création de SN Brussels Airlines est lancée par un consortium d’investisseurs, dont fait partie toute une série de groupes financiers et d’industriels conduits par Étienne Davignon et Maurice Lippens. Ce dernier, comte de son titre, est le petit-fils de Maurice Auguste Lippens, lequel fut président du Sénat et Gouverneur général du Congo belge au début des années 1920. Homme d’affaires, l’héritier est connu pour avoir été le président du groupe financier Fortis, de 1990 à 2008 ; il est également le frère du bourgmestre de la commune de Knokke-Heist, Leopold Lippens, qui suggérait au sujet des personnes sans-papiers lors d’une interview en 2016 : « Qu’on fasse un camp comme à Guantanamo. Sans les torturer. Et qu’on les envoie dans leur pays ! » Issu d’une famille de gros propriétaires terriens, Maurice Lippens est également actif dans le secteur du sucre via le groupe Finasucre, présent sur les cinq continents — République démocratique du Congo incluse. Le vicomte Étienne Davignon, attaché au cabinet des Affaires étrangères lors de l’assassinat de Lumumba en 1961, a été chef de cabinet du Premier ministre Pierre Harmel [4], président de l’Agence internationale de l’énergie [5] puis vice-président de la Commission européenne [6]. Membre du groupe Bilderbergdepuis 1974, il le préside jusqu’en 1999 — avant d’en devenir président honoraire. Il est en outre président de la banque Société générale de Belgique puis vice-président de Suez-Tractebel. Le roi des Belges Albert II lui octroie le titre de ministre d’État en 2004. La famille de Lumumba dépose plainte contre lui le 23 juin 2011 : pour crimes de guerre, tortures et traitements inhumains et dégradants. Un arrêt de la chambre des mises en accusation de Bruxelles autorise en 2012 la poursuite de l’instruction, qui mentionne notamment Davignon dans la liste des 10 personnes mises en cause. En 2019, il est encore président du Conseil d’administration de Brussels Airlines et intervient régulièrement dans les médias afin de représenter l’entreprise.
Pendant plusieurs années, des organisations telles que le Collectif contre les expulsions ont dénoncé la participation de la Sabena à ces nombreuses expulsions. En 2014, la Belgique a dépensé au moins 8 816 000 euros pour sa politique de « rapatriement et d’éloignement » [7]. En plus des frais liés aux escortes de la police fédérale, composées d’agents volontaires afin de procéder aux expulsions, à l’accompagnement médical ou à certaines démarches administratives, cette somme comprend l’achat des billets d’avion des personnes expulsées ainsi que de leur escorte. Outre les expulsions que la compagnie opère via ses vols commerciaux, l’entreprise agit de manière encore plus active : des agents de Brussels Airlines ont la possibilité de se rendre dans les centres fermés afin de tenter de convaincre les personnes détenues d’accepter leur refoulement. Plusieurs témoignages de détenu·e·s confirment la persistance de cette pratique. En septembre 2013, des détenu·e·s du centre fermé Caricole alertent ainsi le collectif belge Getting The Voice Out : des agents de Brussels Airlines les ont rencontré·e·s et ont eu accès à leur dossier par le truchement d’une assistante sociale du centre de transit.
Pour comprendre cette pratique, il est nécessaire de rappeler que la Convention de Chicago du 7 décembre 1944, relative à l’aviation civile internationale, impose aux transporteurs aériens de respecter, sous peine de sanctions, les lois et les règlements des États en matière d’immigration. La loi [8] oblige le « transporteur public ou privé » à ramener au lieu de départ, à ses frais, les personnes acheminées alors qu’elles ne disposaient pas des documents requis par les autorités du pays. Cette obligation est la seule à contraindre légalement les compagnies à procéder à des expulsions (appelées dans ce cas des « refoulements ») ; elle ne concerne pas les « personnes à éloigner », lesquelles se trouvent déjà sur le territoire belge. Ajoutons enfin qu’un arrêté ministériel [9] du 11 avril 2000 prévoit, quel que soit le cas, que « le commandant de bord est chargé de décider s’il y a lieu ou non d’accepter à son bord le passager ». Face à cette situation, un accord a été signé le 24 mai 2000 entre la Sabena et le ministre de l’Intérieur de l’époque, Antoine Duquesne, afin, entre autres choses, de diminuer les amendes et de prévoir des escortes composées d’agents de sécurité de la compagnie.
Les juristes Caroline Intrand et Pierre-Arnaud Perrouty ont écrit en 2005 : « Ce protocole d’accord autorisait la compagnie à avoir des contacts avec les personnes à refouler en vue de les "préparer au départ". L’actuelle SN Brussels Airlines a repris cet accord à son compte : des témoignages, confirmés par des membres de l’administration, indiquent que des agents de la SN Brussels Airlines se rendent dans les centres fermés pour tenter de convaincre les personnes de repartir par leurs lignes. Avec, à la clé, des incitations diverses (généralement une somme d’argent ou l’offre de billets sur des lignes intérieures du pays de destination) et, au besoin, des menaces explicites : "Si vous ne partez pas avec nous, ce sera par avion militaire !" [10]. » Selon des témoignages publiés en 2013 par Getting The Voice Out, il semble que cela perdure : Brussels Airlines propose ainsi « que la personne à expulser collabore et se laisse expulser sans escorte et qu’en contrepartie la compagnie leur donnerait 250 euros à l’arrivée au pays ». Outre l’apparent enjeu économique présent derrière ces pratiques de persuasion, il est à supposer que des refoulements sans encombre ni protestation assurent la préservation de l’image de l’entreprise auprès des autres passager·e·s présent·e·s dans l’avion. Suite à l’acquisition de la totalité du capital de Brussels Airlines par la Lufthansa, Théo Francken, alors secrétaire d’État à l’asile et la migration, a témoigné à sa façon des liaisons dangereuses qui unissent l’État belge et la compagnie, par un tweet en date du 5 février 2018 : « Avec des milliers de vols de retour par an, l’Office des étrangers est probablement l’un des plus gros clients de @FlyingBrussels. Nous croisons les doigts pour un résultat positif. » Il apparaît que, là encore, Brussels Airlines ne se soit pas débarrassée des vieux démons de sa mère Sabena.
Dès les années 1920, la Sabena s’ouvrait et participait à des œuvres de charité alors que les profits qu’elle retirait de cette période coloniale étaient peu critiqués. Aujourd’hui, la collaboration active de Brussels Airlines dans la politique d’expulsions massives de la Belgique est peu connue et passe relativement inaperçue. Au travers de sa fondation, Brussels Airlines définit sa responsabilité sociétale en ces termes : « En tant que spécialistes de l’Afrique, nous sommes en contact régulier avec les communautés et les personnes les plus démunies de ce continent. Par conséquent, nous voulons créer de la valeur pour la société locale africaine. » Les personnes expulsées sont « démunies » ou menacées ; elles fuient des situations de violence dans leur pays d’origine, que celles-ci soient politiques, sociales, économiques ou climatiques. Les expulser revient à agir en contradiction totale avec les intentions affichées par l’entreprise. Dans le Code de conduite du groupe Lufthansa [11], auquel appartient Brussels Airlines depuis 2017, on peut lire : « Nous estimons et respectons la dignité de nos employés, clients et partenaires. Nous n’acceptons aucune forme de discrimination du fait du sexe, de l’âge, de la couleur de peau, de l’origine, de la nationalité, de la confession religieuse, de l’orientation sexuelle, d’un handicap, des idées politiques et d’une activité syndicale. »
Les personnes mortes en mer et sur terre, la considération d’êtres humains comme « illégaux » (faute d’un titre de séjour valable), les logiques de tri entre « bons et mauvais migrants » (au mépris du principe d’égalité), la mise à distance et l’enfermement ainsi que la multiplication des dispositifs de contrôle : autant de conséquences déshumanisantes que produisent, en Europe, les frontières et leur consolidation. Les expulsions opérées par les compagnies aériennes sont parties prenantes de ce système. De nombreux récits de personnes expulsées et de témoins attestent de violences policières et de passages à tabac réguliers, de pressions psychologiques, d’insultes racistes et sexistes, de menaces, de techniques d’immobilisation (par administration de sédatifs, saucissonnage…) ou de silenciation (en coupant la respiration ou en riant plus fort que les pleurs des personnes expulsées), de tentatives de suicide, voire de meurtre. Pourtant, aucun de ces drames ni aucunes des incohérences fondamentales soulevées ne semblent entacher l’image de la compagnie.
Lorsqu’une compagnie aérienne est enjointe à prendre position à l’encontre des politiques d’un État dans lequel elle travaille, la réponse la plus commune est de dire qu’une entreprise n’a pas pour rôle de faire de la politique. On l’a récemment vu en Australie lors d’une campagne, toujours en cours, visant la compagnie australienne Qantas. Alors que la politique migratoire australienne est fortement critiquée sur le plan international, Qantas y participe en expulsant massivement les personnes exilées. Lors de l’assemblée générale annuelle d’octobre 2018, une demande visant à revoir la politique d’expulsion forcée de demandeurs d’asile a été rejetée et le président du Conseil d’administration, Leigh Clifford, a répondu que « le gouvernement qui élabore la politique d’immigration et évalue les cas individuels, et les tribunaux qui entendent les appels, sont les mieux placés pour prendre des décisions concernant des questions complexes en matière d’immigration ». Les campagnes menées en direction des compagnies ne leur demandent pas de se substituer aux gouvernements ou aux juridictions des pays, mais uniquement de prendre position et de refuser de participer à des politiques allant à l’encontre des valeurs qu’elles prétendent défendre. Dans ses « Principes directeurs relatifs aux entreprises et droits de l’Homme », l’ONU rappelle que la responsabilité de respecter ces droits incombe à toutes les entreprises, et ajoute que cette responsabilité « existe indépendamment des capacités et/ou de la détermination des États de remplir leurs propres obligations en matière de droits de l’Homme et ne restreint pas ces dernières. Elle prévaut en outre sur le respect des lois et règlements nationaux qui protègent les droits de l’Homme ».
Des décisions récentes illustrent la volonté de certaines compagnies aériennes de se positionner vis-à-vis de mesures gouvernementales en matière migratoire, prouvant par là même que de tels actes sont possibles. Lors de la polémique née de l’annonce d’enfants séparés de leurs parents aux États-Unis, des compagnies comme American, Frontier et Southwest and United Airlines ont décidé en juin 2018 de refuser ces expulsions. Le PDG de United, Oscar Munoz, a annoncé à la presse : « En raison de nos préoccupations sérieuses au sujet de cette politique et de sa profonde contradiction avec les valeurs de notre société, nous avons contacté des responsables fédéraux pour les informer qu’ils ne devraient pas transporter d’enfants immigrés dans des avions United séparés de leurs parents. » Au Royaume-Uni, suite au scandale de la génération Windrush [12] et à la campagne du collectif Lesbians and gays support the migrants, Virgin Atlantic a annoncé au même moment qu’elle mettait fin aux expulsions forcées, invoquant là encore les valeurs de l’entreprise. Un porte-parole de la compagnie de commenter : « Le mois dernier, nous avons pris la décision de mettre fin à toutes les expulsions involontaires sur notre réseau et avons déjà informé le ministère de l’Intérieur. Nous pensons que cette décision est dans l’intérêt de nos clients et de notre personnel et qu’elle est conforme à nos valeurs en tant qu’entreprise. » En octobre de la même année, la fédération syndicale de l’International Transport Workers’ Federation a lancé un appel en ce sens aux compagnies aériennes.
À l’image de l’opposition d’un grand nombre de commandant·e·s de bord et de passager·e·s, ainsi que de multiples campagnes internationales, la société civile se mobilise de plus en plus contre ces pratiques brutales. Ces expulsions sont attentatoires à de nombreux droits fondamentaux, parmi lesquels le droit de vivre dignement, le droit à la liberté et à ne pas subir de traitements inhumains et dégradants. Les profits que la compagnie en tire se font au détriment des valeurs qu’elle prétend défendre. Au nom de ses valeurs et de sa responsabilité à l’égard de la société, il est temps pour Brussels Airlines de prendre position et, à son tour, de mettre fin aux expulsions des personnes migrantes.
REBONDS
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☰ Lire notre entretien avec le Gisti : « Droit d’asile, ça se durcit d’année en année », novembre 2017
☰ Lire notre témoignage « Ne pas laisser de traces — récit d’exil », Soufyan Heutte, juillet 2016